Le risque économique provenait de la nature (climat, épidémies, animaux féroces...). Mais déjà aussi des autres hommes, nomades de la terre ou de la mer. Et cela d'autant plus que les progrès de l'économie sédentaire favorisaient la multiplication et la survie des hommes, donc les cibles pour les prédateurs de ressources, de territoires, de femmes et de vies humaines.
3000 ans avant J.C, dans le Croissant fertile du Moyen Orient, l'agriculture irriguée, l'élevage , le stockage permettaient la création des grandes cités, des états policés, des empires. On n'était plus dans la survie du Neanderthal; on entrait dans l'Age des civilisations organisées où l'économie jouait un rôle important mais non exclusif à côté de la politique , du droit, de la guerre et de la religion .
Cependant les techniques économiques n'ont cessé de progresser en efficacité et dans leur maîtrise du temps et de l'espace.
- Dans la production agricole. Avec les défrichements médiévaux, la découverte des plantes américaines et l'assolement, l'assolement, l'apport massif d' amendements et engrais venus d'usines lointaines, la colonisation des grandes steppes continentales par le brûlis, le dry farming, les convois d'immigrants, l'enclos de barbelés. Puis l'agriculture scientifique hyperproductive.....
- Dans l'industrie, la maitrise de la mine et des métaux , puis de l'énergie, la création de matériaux nouveaux avec la chimie,la mécanisation, le travail organisé à flux tendus et à distance, de plus en plus loin des consommateurs.
- Le commerce aussi élargit l'espace et la durée des activités économiques.A l'origine, simple troc de proximité, il devient continental (grandes foires du Moyen Age) et intercontinental (route de la soie, commerce des épices, commerce triangulaire de l'Atlantique...)
Tout ceci est allé de pair avec une organisation des sociétés liée au progrès économique
- La production économique appelait une organisation de la propriété des territoires et des biens . Et surtout du travail humain : esclavage, servage, statut de l'artisan, contrat et droit du travail, travail programmé dans les manufactures et les mines, assistance sociale à la reproduction de la force de travail..
- Le crédit, puis la société de capitaux, donnent du temps et de la confiance pour entreprendre des tâches de longue haleine (dénouement des cycles commerciaux longs , grands travaux, fabrications de masse...) . Dès la fin du moyen Age, les banquiers jouent un rôle croissant, certes pour financer l'économie, mais aussi les dépenses publiques bien plus rentables de l'accès au pouvoir (ex: les candidatures aux élections impériales) , l'ostentation et la guerre des Princes.
- La monnaie et la comptabilité représentent, par l'abstraction, des valeurs économiques, ce qui facilite les calculs...et les combinaisons hâtives ou douteuses.
C'est aussi le début d'une indépendance croissante de la finance par rapport à l'économie réelle des biens et services
- La banque, la finance hors banque (la Bourse par exemple) et la monnaie ont en commun de ne pas représenter directement des valeurs concrètes mais des notions assez subjectives comme la confiance, la valorisation du temps et celle des risques .
- Il s'y ajoute l'extrême facilité pour créer et distribuer des ressources de paiement qui viennent en concurrence avec celles qui proviennent de l'économie proprement dit , c'est à dire la rémunération du bien ou service fourni à autrui.
- Or ce n'est pas l'activité économique proprement dite qui crée la valeur, mais la quantité d'argent, que l'on peut attribuer à un produit . Et cela quelle que soit l'origine de cet argent: salaire, transfert social en provenance de l'Etat-providence, vol, spéculation boursière. cession d'actif, crédit, création monétaire...
- Pour compliquer le tout, la financiarisation a puissamment déplacé les méthodes et les enjeux de l'économie.
Comment? La financiarisation a commencé depuis longtemps avec le crédit, l'endossement et la négociation des effets de commerce, la multiplication des monnaies métalliques en provenance d'Amérique, les monnaies de compte , la création des banques centrales régulatrices et l'abandon de l'or comme moyen de paiement en 1976.
Dans les vingt dernières années la déréglementation , l'internationalisation des mouvements de capitaux, l'apparition des produits dérivés et des marchés de risques, l'intervention d'opérateurs non bancaires ont considérablement accru la circulation financière indépendamment de tout objectif économique classique (produire pour satisfaire un besoin)..
Aujourd'hui les actifs financiers représentent quatre fois le PIB mondial, les échanges de devises représentent environ 500 fois les flux commerciaux réels de biens et services. C'est beaucoup plus que l'huile de rouage nécessaire pour l'économie réelle.
Tout ceci a désarmé les opérateurs et régulateurs traditionnels de la finance (banques commerciales, banques centrales, états). Les grands organismes internationaux de type FMI-Banque Mondiale sont eux aussi très loin de faire le poids devant un marché aussi puissant qui définit de fait les critères de décision (au profit de qui?) les rendements exigés du capital et qui s'autorise bien des bulles spéculatives et des crises.
Où est, dans tout cela l'économie de grand papa, où Ford gagnait sa vie en proposant des automobiles que pouvaient acheter ses ouvriers? où les institutions publiques définissaient les règles acceptables de la compétition pour les richesses?
Rome n'est plus dans Rome et l'économie réelle a sombré dans la finance virtuelle. Tout ceci évolue très vite et se trouve hors de portée des décideurs privés ou publics les plus légitimes..
- La monnaie, symbôle d'une richesse concrète, est vite devenue une source autonome de revenus donc de richesses.
Les Monarques, maîtres des horloges chargés des régulations, n'ont pas hésité à rogner sur la quantité de métal précieux inclus dans la monnaie. Ils ont ainsi inventé l'inflation qui, avec les impôts, les emprunts plus ou moins obligatoires et mal remboursés et la création de monnaie-papier (assignats), ont financé les grandes faillites de la Cour (Louis XVI?) et surtout les guerres puis les indispensables démagogies.
6- L'extraordinaire instinct de survie de l'homme du Neanderthal le conduisait à privilégier par nécessité une économie très concrète. Comme chez les truites d'élevage incapables de survivre dans la nature sans croquettes, cet instinct est aujourd'hui très dégradé, au mieux dans l'amélioration du pouvoir d'achat, au pire en caprice d'acquisition du dernier gadget à la mode...Le vouloir d'achat prend le pas sur le pouvoir d'achat et même sur les besoins réeels.
A côté de cela s'est développé, du moins chez les "élites" le puissant instinct du pouvoir politique ou idéologique, qui porte à son actif la formation et le fonctionnement des grands ensembles territoriaux et des communautés religieuses ou culturelles, mais aussi la quasi-totalité des grandes guerres et des dépenses somptuaires ou démagogiques. Il est lui aussi souvent dégradé en volonté de prestige ou revendication d'identité.
Dans un cas comme dans l'autre , aspiration économique ou ambition politique, la tentation était grande de transformer en absolu une activité subordonnée. En créant des règles (lois, institutions, organisations...) et même des postulats philosophiques. Ceux de la pensée politique sont bien connus, autour de la Nation, du Roi, du peuple souverain etc...
Ceux de la pensée économique ont été plus longs à se manifester comme des absolus, mais c'est le cas depuis deux siècles au moins: évangiles selon Saint Marx et Saint Adam Smith, homo economicus, anticipations rationnelles, concurrence, paradigme des marchés autorégulés, marchés incontestés...).
Il s'agit d'une sorte de religion, ou du moins de pensée unique, qui propose ses méthodes et ses objectifs à la vie concrète dans l'économie mais aussi dans l'organisation du politique, du social et même de la vie individuelle (socioeconomie)
Les détenteurs de savoirs techniques (ingénieurs, biologistes, guerriers, prédicateurs) sont rarement modestes . Ils extrapolent leurs savoirs jusqu'à un absolu déraisonnable et on trouve toujours un Faust, un Docteur Mabuse ou Frankenstein, un Hitler pour exagérer sans humour jusqu'à l'absurde ou l'horreur.
Comme toute pulsion forte, la recherche du pouvoir ou simplement d'une satisfaction économique ou politique; exercée par un acteur assez puissant, peut susciter un changement destabilisant pour autrui, c'est à dire un risque.
Chose plus grave, les techniques d'influence économique (publicité, appel à la crédulité publique, création de valeur « out of nothing » ) et d'influence politique (propagande, menace, agression...) sont desormais largement vulgarisées entre des mains non innocentes: mafias, délinquants financiers, groupes terroristes,
Ouvrons notre journal. Croyances totalitaires, anticipations rationnelles et marchés auto-régulés, bulles et subprimes, énormité de la dette américaine, traders-fous, patrons-voyous, politiciens mégalomanes, médiatisations narcissiques, surconsommations chauffées à la publicité, pollutions, génie génétique, drogues et addictions médicamenteuses, nanotechnologies...
Nous avons longuement forgé des instruments prométhéens , économie, politique, science, communication qui nous échappent et nous menacent.
Le bonheur tranquille n'est plus ni dans les prés, ni dans les bois, ni encore moins dans la Cité radieuse promise par les politiciens.
So what?