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jeudi 8 février 2007

FAUT-IL COLLOQUER?


Le colloque est, en principe, un moyen d'échanger des informations et des idées dans un cadre agréable et rarement conflictuel.C'est aussi un rite de sociabilité au même titre que d'autres fêtes ou cérémonies.

Ils sont enfin un marché non négligeable pour les organisateurs d'évènements (entreprises, associations civiques et caritatives) et les indispensables logisticiens (transport, hôtellerie-restauration, hôtesses d'accueil, communicants de toutes natures...).Ils se rattachent ainsi aux industries de la communication dont la survie – comme pour la restauration de luxe- dépend essentiellement de la facilité de déduire fiscalement la publicité, alors que bien des pratiques de lien social ne disposent pas de tels avantages....

Rite d'échanges et pratique commerciale, deux fondemenrts essentiels pour le colloque dans une démocratie de marché.


Mais quid du participant-client? Quel rapport qualité-prix, ou plutôt temps investi-effets produits?

Par rapport aux temps d'information proprement dite les temps d'approche ne sont pas négligeables

- inscription à distance

- transport sur les lieux du colloque : une à plusieurs heures

- procédure d'accueil, enregistrement sur place, vestiaire, petit café, quart d'heure (?) académique de retard du public et des conférenciers....

  • protocole des bienvenues et remerciements , presque toujours accompagnés d'une autopromotion de l'hôte ou, pire, d'une indication de ce qu'il pense du sujet pour lequel il a invité des experts (dont il ne fait pas forcément partie...)

  • reprise et paraphrase par l'animateur des débats – souvent un journaliste en ménage ou un président de second niveau qui veut lui aussi passer son message ...


On arrive au sujet même du colloque environ une heure après l'heure théorique de début.Les derniers venus arrivent en retard et rencontrent les premiers partants qui abandonnent la salle, vraisemblablement pour d'autres colloques

  • la conférence est le mode traditionnel d'exposé des idées. Par défaut non moins traditionnel de concertation préalable entre les orateurs, les tables rondes ne sont le plus souvent que des séries de monologues , trop longs, entrecoupés par le président de séance qui met beaucoup de temps à rappeler qu'il ne faut pas etre trop long, et en profite pour placer son propre couplet sur le sujet....

  • Sauf dans en cas d'effets oratoires combinés à une mise en scène bien orchestrée(discours de politiciens, sermons religieux) la conférence magistrale est probablement le moyen le moins efficace de faire passer l'information .

Même dans le meilleur des cas (orateur connaissant bien son sujet et sachant l'exposer clairement) le monologue ne facilite pas l'appropriation par le public: discours linéaire dont la signification ne peut être appréciée que par bribes ou après la conclusion.Alors que l'attention de l'auditeur est sollicitée par bien d'autres choses: ses propres idées sur le sujet ou sur d'autres , le dossier de la conférence, la silhouette de la voisine etc...Donc audition partielle, compréhension au mieux différée..

.On ne s'étonne pas si 90% du contenu est oublié dès la fin de la conférence et 98% deux heures après.... A fortiori si le conferencier est immédiatement suivi par un ou plusieurs orateurs qui traitent de sujets différents tout aussi mal assimilés...

  • les interventions ou questions du public sont souvent des monologues additionnels

  • Les pauses ont des objectifs physiologiques, sans rapport direct avec le sujet. Ces interruptions sont plus nombreuses et plus longues que dans la vie de travail ordinaire

  • Le cocktail du soir , destiné à prolonger les échanges , est le plus souvent bâclé , l'assistance se précipitant vers sa deuxième heure de trajet hebdomadaire.

Au total, l'auditeur aura passé plus de huit heures à immobiliser son cerveau dans la recherche de quelque chose, l'information voire l'idée qu'il pourrait se procurer autrement à moindre coût, ne serait-ce qu'en la produisant lui-même...

Rappelons que l'auditeur moyen peut absorber environ 9000 mots à l'heure, le lecteur moyen atteint 30000 mots dans le même temps.

Rappelons aussi que le coeur de l'information ou le nerf du message se résume le plus souvent en une formule courte, assertion ou exhortation »Moi, c'est moi, lui c'est lui!Je suis contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre! Aimez-vous les uns les autres! Payez vos impôts... ».

Le reste n'est que tissu conjonctif ou graisseux présenté dans un squelette (le plan) plus ou moins attractif...Appelons ça la rhétorique, ce qui n'est pas l'information ni l'idée.

Le meilleur support d'information est sans doute le « position paper » remis malheureusement en fin de séance , dans le meilleur des cas. Alors que pour débattre et même simplement s'approprier l'information, il vaut mieux savoir au préalable de quoi on va parler et, si possible ce qu'on va en dire.

Il est assez facile d'écarter rapidement un « non paper » conçu pour le remplissage ou pour la publicité. Il est plus difficile, sauf moyens brutaux, d'écarter un « non speaker » qui s'attarde à la tribune.

Pour la recherche et la selection des informations ou idées, le colloque ne peut pas soutenir une comparaison d' efficacité avec un bon moteur de recherche (ou un site bien ordonné).

La phase ultérieure, essentielle, du traitement de l'information , indispensable (sinon à quoi bon?) ne peut pas se faire dans un colloque où les transactions ne sont pas effectives . Il vaut mieux:

-opérer en face à face avec soi-même; c'est économique et cela aide à y voir clair avant de s'engager dans toute action ou communication. Comme disait Pierre Dac, « Rien ne sert de penser, avant il faut réfléchir »

-surtout opérer en face à face avec les autres parties prenantes (exemple d'une négociation, d'une crise, d'un plan de développement...) en faisant circuler au préalable un memorandum des questions et des positions.Dans ces conditions le débat fait apparaître d'autres points de vue utiles et permet de préparer le consensus nécessaire à l'action.

Les colloques, les conférences de direction et les chamailleries internes sont une bonne raison pour laquelle les Français (surtout les Parisiens) paraissent souvent si occupés qu'on se demande comment ils trouvent le temps de travailler.

Une cause partielle (en plus du goût gaulois pour la palabre) reside dans le laxisme fiscal et financier accordé à la dépense publicitaire qui frise parfois la corruption à travers les déjeuners d'affaires, les voyages de stimulation etc...

En des temps de précarité et de dérapages divers, nous serions sans doute mieux inspirés de renforcer d'autres instruments de lien social comme l'accompagnement (« coaching »), l'encadrement éducatif , sportif, civique etc...


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